Traduction et commentaires
Paroles des arcanes
d’Hermès :
Il est vrai, sans mensonge, certain, et
très véritable
que ce qui est en bas est comme ce qui est en haut, et ce qui est en
haut comme ce qui est en bas : pour l’accomplissement des
merveilles de
la chose unique.
- Vrai, c'est-à-dire au
principe; sans mensonge,
c'est-à-dire que cette vérité est exposée
sans voile, et aussi qu'elle transcende le plan des illusions et de la
dualité; certain, c'est-à-dire en
théorie; très véritable,
c'est-à-dire en application,
concrètement. C'est donc une vérité valable
à tous les niveaux de la création, en vertu de sa
dimension quadruple. On pourra naturellement faire le parallèle
avec le divin tétragramme des qabbalistes. Et ne croirait-on pas
trouver ici l'origine de l'expression bien connue et pourtant
mystérieuse : dire
à
quelqu'un ses quatre
vérités ?
- Ce qui est en bas est comme ce qui
est en haut (et
inversement) : exposition du dogme universel des analogies. C'est
la sentence la plus
célèbre de la Table.
- La chose unique : la
création. Lorsque
les
philosophes parlent du Grand Œuvre comme d'une
récréation, il faut l'entendre re-création.
Et de même que toutes choses se sont faites
d’un seul, par la
médiation d’un seul, ainsi toutes choses sont nées de
cette même unique chose, par adaptation.
- se sont faites d’un seul :
d'un seul principe.
- par la médiation d’un seul :
d'un seul agent,
celui-là
même qui est appelé Akasha
par les orientaux, Lumière
Astrale par
Paracelse; Vierge Sidérale,
Notre
Mercure ou encore par les alchimistes.
C'est l'Ame universelle,
la cause de l'existence, emplissant tout l'espace, et même
étant dans un sens l'espace lui-même, d'après H.P.
Blavatsky. Voyez l'étude du Grand
Arcane.
- toutes choses sont nées de
cette même
unique chose,
par
adaptation : l'agent est en même temps le substrat du
monde
matériel. L'équation E = mc2 indique
l'équivalence
entre l'énergie (E), la masse annihilée ou matière
(m), et la vitesse de la lumière (c).
Le Soleil est son père, la Lune est sa
mère; le Vent
l’a
porté dans son ventre et la Terre est sa nourrice.
- Allusion d'une part aux quatre éléments
ou
principes
élémentaires : Feu, Eau, Air et Terre. A propos de
la
théorie des quatre éléments, déjà en
vogue au temps d'Empédocle d'Agrigente, écoutons Oswald
Wirth : "Ce ne sont pas des corps, ni simples, ni composés,
mais
des tendances polarisantes qui engendrent les qualités
élémentaires : chaud et froid, sec et humide; qui
débrouillent le Chaos".
- Le
Soleil est son père, la Lune est sa
mère : car le
Soleil est la source de notre lumière, que la Lune
réfléchit durant la nuit. C'est aussi une allusion
à la polarisation de l' . Les anciens
voyaient la Lune comme un
miroir concentrant la lumière : lumière solaire bien
sûr, mais aussi lumière des autres astres... Voyez page
précédente la représentation du dieu Thoth. C'est
pour cette raison que la pleine lune est la période la plus
propice aux opérations magiques, et sans doute aussi à
certaines opérations de l'Œuvre.
- le Vent l'a porté dans son
ventre : je pense,
avec Guaita, que cela signifie que l'air est un véhicule
privilégié de l'agent mercuriel. Dans le monde
matériel, notre âme a besoin du véhicule que
constitue notre corps physique; et par analogie, les énergies
subtiles doivent sans doute utiliser des énergies plus
grossières comme "porteuses". Rappelons au passage
qu'Hermès-Mercure était représenté avec
casque et sandales ailés...
- la Terre est sa nourrice :
c'est-à-dire, selon
Eliphas
Lévi, que la Lumière Astrale est
"équilibrée et mise en mouvement par la chaleur centrale
de la terre", allusion donc au des
alchimistes. On pourrait aussi
penser à une inversion et comprendre : il est comme une
nourrice
pour la Terre, considérant ainsi le rôle alimentaire du .
Ci-contre, Mercure et Saturne, dans les Figures
hiéroglyphiques
de Nicolas Flamel.
C’est le père de l’universel
télesme du monde entier.
- Dans certaines traductions, notamment arabes – Livre
des secrets
de la création et Secret
des secrets, on trouve "talismans" ou
"enchantements" pour télesme. Il s'agit
selon moi d'une
corruption de l'original, télesme
étant un concept assez
difficile. A ceux qui auraient fait le rapprochement avec l'Abbaye de
Thélème, de Rabelais – initié notoire; je
répondrais que, si la réflexion est intéressante, Thélème
semble plutôt provenir du
grec (volonté),
ce qui correspond fort bien à la devise de
l'abbaye : fay ce que vouldras.
- Je n'ai trouvé le mot télesme
que dans
le
dictionnaire Mytho-Hermétique de Dom Pernety, et encore n'en
donne-t-il qu'une définition succincte : "fin, perfection,
complément". L'appel que j'avais lancé pour des
hypothèses sur l'étymologie du mot telesme a
été entendu : Hugues de Charnay – merci à lui
–
nous signale quesignifie
en
grec "parfait, achevé", et ajoute
que, selon Eliphas Lévi, le Télesme
est "la substance
répandue dans l'infini", ciel et terre à la fois. H. de
C. propose aussi de se reporter au commentaire d'Hortulain, mais je
considère pour ma part qu'Hortulain n'est pas très
explicite.
- Dans sa version latine du Secret des secrets du
pseudo-Aristote,
Roger Bacon considère que C’est le père
se rapporte au
Soleil, dont il est question précédemment, et
traduit :
"Le Soleil est le père de ce qui résulte de l'action
d'une cause", mais il faut bien reconnaître que cela ne fait pas
beaucoup avancer le Schmilblick.
- J'ai une opinion différente,
considérant
plutôt qu'il est encore question ici du des sages ou , que
j'ai déjà mentionné. Le Mercure, dans cette
optique, serait considéré comme le père (ou la
base, le substrat) de ce qui est fini,
parfait... Comprenons : manifesté
tangiblement. Cette interprétation pourra
donner tout son sens à la sentence suivante, si l'on
médite quelques instants sur les mots Solve et Coagula.
Sa puissance est entière quand elle est
métamorphosée en terre.
- Sa puissance est entière,
c-à-d que le
potentiel
qu'il contient est totalement exprimé.
- quand elle est
métamorphosée en terre,
il faut
entendre ici terre non pas comme
l'élément Terre; mais,
selon Pernety, comme le
fixé : autrement dit, la matière
sensible.
Tu sépareras la terre du feu, le subtil de
l’épais,
avec délicatesse et une extrême prudence.
- Une fois l'énigme de la Matière
Première
élucidée, il faut en libérer le Soufre et le
Mercure, et les purifier. Nicolas Flamel parle de "laveures
ignées", allusion vraisemblable à l'emploi d'un acide.
- A un autre niveau, Hermès conseille en
même temps de
travailler à affranchir l'esprit de la matière, ou
l'âme de ses vices. C'est la nécessaire mort initiatique,
symbolisée par l'Arcane
XIII du Tarot. Car l'alchimie en
laboratoire doit obligatoirement s'accompagner d'une alchimie
"spirituelle". Seule une âme purifiée peut être
à même de déchiffrer le livre de la Nature, et donc
de tirer la substantifique moelle des écrits alchimiques. Les
philosophes se plaisaient en effet à y décrire une foule
d'expériences n'ayant pas de rapport direct avec le Grand Œuvre,
dans le but d'égarer les insensés.
Il monte de la terre au ciel, et derechef il
descend en terre, et
reçoit la force des choses d’en haut et d’en bas.
- Le grand courant d'énergie mercurielle monte
et descend
des interstices de l'univers. Le songe de Jacob, à un certain
niveau d'interprétation, en est une bonne
métaphore :
"Voilà qu'une échelle était dressée sur la
terre et que son sommet atteignait le ciel, et des anges de Dieu y
montaient et descendaient" (Gen. 28,12). Je vois dans
ces "anges" les
agents du Verbe créateur, et dans les barreaux de
l'échelle les transitions existant entre les plans de la
création. Le comme je
le conçois, est un
réceptacle, une énergie "malléable" – analogue au
mercure vulgaire, métal liquide –, que le Verbe dynamise
constamment, en y imprimant des formes-pensées qui, si elles
acquièrent un dynamisme suffisant, finissent par venir à
l'existence objective. Rappelons que l'Homme possède son propre
Verbe, conséquence directe du libre arbitre qui le
caractérise. La science des Mages, de même que les rites
maudits, ont ainsi pour objet d'utiliser le fluide astral comme agent –
d'où son autre nom de Grand
Agent universel.
Polarisations
de la
lumière :
ou lumière positive :
rouge.
ou lumière
équilibrée : blanche ou jaune.
ou lumière
négative :
bleue
ou noire. |
|
- Sans doute avez vous déjà entendu
parler de
l'effet Doppler... Il décrit le changement de fréquence
d'une onde (sons, lumière, ondes radio, etc.) par suite du
mouvement de la source de radiation ou du récepteur. C'est ainsi
que, lorsque la source s'éloigne du récepteur, un son
paraît plus grave ou encore que la lumière apparaît
décalée vers le rouge. A méditer !
|
- Une question : pourquoi Hermès
considère-t-il
d'abord l'ascension du courant avant sa descente ? Ce mouvement
étant perpétuel depuis la formation de la terre, cette
précision pourrait paraître superflue... A moins
qu'Hermès ne soit cette fois en train de nous parler de ce qui
se
passe à l'intérieur de l'athanor, où le courant ne
circule pas encore. L'alchimiste doit faire démarrer
cette circulation énergétique pour lancer de processus de
sa création en miniature, sa re-création. Dans les
traités d'alchimie, cette opération est très
souvent symbolisée par les aigles
que les philosophes
disent faire voler, ce qui
signifie sublimations et cohobations, visant à fixer le volatil
et
volatiliser le fixe. En poussant plus loin l'analogie, cette fois au
niveau
de l'athanor que constitue le corps humain, cette circulation
énergétique dont parle Hermès correspondrait
à la technique mystique que les orientaux appellent l'éveil du serpent de feu de la
kundalini. Arsène Sainct-Agnile a là-dessus d'autres
idées intéressantes.
- la force des choses d’en haut et d’en
bas : on a
déjà vu au début de la Table que ce qui
est en bas
est comme ce qui est en haut, et ce qui est en haut comme ce qui est en
bas, c-à-d analogue et proportionnel.
Prenons cette fois l'image d'une balance... La balance complète
figure la Création. Sur un plateau, on place ce
qui est en bas,
et sur l'autre, ce qui est
en haut. Imaginons à présent une force circulant
constamment entre les plateaux pour maintenir l'équilibre, et
donc l'unité de la
Création, ou chose unique. Cette
force, dans sa dimension équilibrante, est notamment
figurée par le signe de l'infini, qui est un 8 à
l'horizontale; et fort opportunément l'Arcane VIII
du Tarot
représente une femme tenant une balance...
Ainsi tu auras la gloire de l’univers entier, par
là toute
obscurité s’enfuira de toi.
- Je m'attarderai ici sur le mot gloire :
bien avant que
de
signifier "renommée", il signifiait "lumière
céleste". Saint Paul insistait sur le fait qu'il faille entendre
la résurrection non pas dans un corps de chair, mais dans un
corps glorieux (1 Co. 15, 35-53). Sans doute voulait-il
ainsi signifier
que l'âme prend le type de véhicule correspondant au plan
sur lequel elle se trouve. Le concile de Nicée qui, en l'an 533,
fit adopter le dogme aberrant de la résurrection des corps de
chair à l'heure du jugement dernier, a cependant fait bien peu
de cas du message de l'apôtre... Le fait qu'il soit ensuite
question d'obscurité me conforte dans
l'idée que c'est
bien de lumière mercurielle qu'il est question ici.
L'obscurité est à mon avis le
néant.
- tu auras la gloire de l’univers entier :
c-à-d
tu
connaîtras les lois de la lumière, ou gloire,
qui gouverne l’univers entier.
Là réside la force forte de toute
force qui vaincra
toute chose subtile, et pénétrera toute chose solide.
- Là : à cet
endroit, c'est-à-dire
au point
d'équilibration des forces cosmiques, dont j'ai
déjà parlé dans l'étude du Grand Arcane de
Lévi.
- réside : nous
savons que le
emplit tout
l'univers
manifesté. Mais son point d'équilibre est
véritablement l'endroit où il réside.
- la force : le
envisagé comme substrat
universel,
c'est-à-dire comme support de tout phénomène.
- forte de toute force :
toutes les forces physiques
(cohésion, adhésion, etc...) sont des modalités du
.
- qui vaincra toute chose subtile, et
pénétrera toute
chose solide : qui fixera le volatil, et volatilisera le
fixe – cf. ce
que j'ai dit sur l'équation E = mc2.
Ainsi le monde a été crée.
De là
proviendront des adaptations merveilleuses dont le mode est ici.
- Ainsi : par cet agent,
cette force.
- le monde a été
crée :
réduit de
principe en essence, "descendu" par le , du au second , ou
passé de puissance en acte.
|
- de là
proviendront : de la compréhension – savoir –, et l'utilisation
de ce principe – pouvoir et oser. Attention toutefois à
ne pas
oublier la quatrième prescription, au risque de s'attirer des
ennuis : se taire.
- des adaptations merveilleuses :
un seul et
même
principe est adapté
dans
la création universelle sur tous les plans,
à toutes les échelles. A un autre point de vue, le secret
des secrets peut être "adapté" de plusieurs façons
pour réaliser différents prodiges : pierre
philosophale,
or potable ou elixir de vie, lampe perpétuelle, etc...
- dont le mode est ici :
c-à-d dont le
procédé
est révélé ici.
|
C’est pourquoi je fus appelé Hermès
Trismégiste, possédant les trois parties de la
philosophie de l’univers entier.
- C’est pourquoi je fus appelé
Hermès
Trismégiste : "megistos" signifie en grec
"très grand".
Trismégiste est donc "trois fois très grand".
- possédant les trois parties de
la philosophie
de l’univers
entier : Hermès veut signifier ainsi qu'il
possède (ou
connaît parfaitement) la loi du triangle, et donc le secret de la
création.
- On peut aussi interpréter, d'après
Guaita, les
trois parties de la philosophie de l’univers entier comme se
référant aux trois mondes : divin ou intelligible,
psychique ou passionnel, et naturel ou sensible.
Ce que j’ai dit est complet sur
l'opération du
Soleil.
- Ce que j’ai dit est complet :
la Table contient
sous forme
voilée la totalité des secrets du Mercure des Sages.
- sur l'opération du Soleil :
ce que le Soleil
opère
en dynamisant le, à
savoir la création, la maturation, et
la destruction de la vie sur terre. N'oublions pas, à propos,
que pour les hermétistes, tout est sensible, vivant, y compris
le règne minéral.
- Dans la version de Glauber on trouve "de magisterio
solis", qui
signifie : sur le magistère du Soleil.
Ce passage peut donc aussi
s'appliquer à la Pierre
Philosophale, qui est la
re-création d'un Soleil en miniature
Conclusion
Ainsi s'achève mon commentaire (qui se prétend sans
prétention) de ce monument de la Tradition d'Occident.
J'espère en avoir dit assez pour être compris de ceux qui
doivent me comprendre, tout en demeurant suffisamment prudent pour ne
pas risquer d'être mal interprété et mal
jugé par certains (vous savez, ceux dont il est question lorsque
l'on dit de ne pas jeter ses perles devant les pourceaux car ils les
fouleraient aux pieds...etc...)
Ce commentaire est sujet à évolution et modifications,
au
fur et à mesure que s'affinera ma compréhension des
mystères de ce monde, car contrairement à Hermès,
je suis bien loin de posséder totalement les trois parties de la
philosophie de l'univers entier !