D’origine incertaine, Martines de Pasqually, personnage dont l’évolution spirituelle reste encore mal connue faute de documents, apparaît tout à coup vers 1754; il commence alors une carrière de thaumaturge, surtout de théurge, et s’impose d’emblée comme un théosophe considérable, un mage nanti de pouvoirs prodigieux.
On ignore la date, le lieu de naissance et la nationalité de Martines. Certains affirment qu'il était juif sans cependant pouvoir l'établir de façon certaine. On a dit aussi qu'il était de nationalité portugaise, du fait qu'il est allé en 1772 recueillir un héritage à Saint-Domingue, et que Grainville, son fervent disciple, était originaire des Antilles. D'autres prétendent qu'il est né à Grenoble. On constate, en réalité, qu'on ne sait rien de certain de son origine. Ses activités avant 1760 sont, aussi, mal connues. Les historiens ne possèdent rien de réélement sûr. Sa piste est d'autant plus difficile à suivre qu'il a fait usage au cours de sa vie de plusieurs noms et signatures différents sur les documents officiels... Durant vingt années de 1754 à 1774, année de sa mort, Martines de Pasqually travailla sans arrêt à la construction de son Ordre des Chevaliers Maçons Elus-Cohens de l'Univers. En 1754, il fonde le Chapitre des Juges Ecossais à Montpellier; en 1761, il s'affilie à la loge La Française à Bordeaux et y fonde un temple Cohen. Cette loge La Française devient en 1764, la Française Elue Ecossaise, pour indiquer par ce nouveau nom qu'elle possède un Chapitre de grades supérieurs. Mais la direction de l'Obédience Maçonnique abolissant en 1766 toutes les constitutions relatives aux grades supérieurs aux trois premiers (apprenti, compagnon et maître), le Chapitre se trouve suspendu. C'est en cette même année 1766 que Martines vint à Paris et fonda un temple Cohen avec Bacon de la Chevalerie, Jean-Baptiste Willermoz, Fauger d'Ignéacourt, le comte de Lusignan, Henri de Loos, de Grainville, etc... En 1767, il établit son Tribunal Souverain qui devait régenter tout l'Ordre des Elus-Cohens. La rencontre avec Saint-Martin en 1768 devait avoir une grande importance pour l'un comme pour l'autre. La personnalité et l'enseignement de Martines de Pasqually firent sur Saint-Martin une impression profonde et durable. Réciproquement, Martines fut lui-même influencé par Saint-Martin. Ce dernier quitte l'uniforme en 1771 et devient le secrétaire de Martines, remplaçant dans cette tâche l’abbé Pierre Fournié. De cette époque date la mise au point des rituels ainsi que la rédaction du Traité sur la Réintégration des êtres, base doctrinale de la théosophie et de la théurgie martinésistes.
La doctrine de Martines, dont le caractère chrétien ne
fait aucun doute, se présente comme la clef de toute cosmogonie
eschatologique : Dieu, l’Unité primordiale, donna une
volonté propre à des êtres
«émanés» de lui; mais Lucifer, ayant voulu
exercer lui-même la puissance créatrice, tomba victime de
sa faute en entraînant certains esprits dans sa chute; il se
trouva enfermé avec eux dans une matière destinée
par Dieu à leur servir de prison. Puis la Divinité envoya
l’Homme, androgyne au corps glorieux et doué de pouvoirs
immenses, pour garder ces rebelles et travailler à leur
résipiscence; c’est même à cette fin qu’il fut
créé. Adam prévariqua à son tour et
entraîna la matière dans sa chute; il s’y trouve
maintenant enfermé; devenu physiquement mortel, il n’a plus
qu’à essayer de sauver la matière et lui-même. Il
peut y parvenir, avec l’aide du Christ, par la perfection
intérieure, mais aussi par les opérations
théurgiques qu’enseigne Martines aux hommes de désir
qu’il estime dignes de recevoir son initiation : fondées
sur un
rituel minutieux, ces opérations permettent au disciple d’entrer
en rapport avec des entités angéliques qui se manifestent
dans la chambre théurgique sous forme de «passes»
rapides, généralement lumineuses; ces dernières
représentent des caractères ou hiéroglyphes, des
signes des esprits invoqués par l’opérant, auquel les
manifestations prouvent qu’il se trouve sur la bonne voie de la
Réintégration.
Cette doctrine, destinée à une élite
réunie sous le nom d’élus «cohens»
(prêtres élus), connaîtra une fortune
singulière, mais les opérations théurgiques
resteront réservées aux seuls initiés. Martines
n’utilise guère la franc-maçonnerie qu’afin de greffer
sur elle son système. Jusqu’en 1761, on le trouve à
Montpellier, à Paris, à Lyon, à Bordeaux, à
Marseille, à Avignon. En 1761, il construit son temple
particulier à Avignon, où il réside jusqu’en 1766.
À cette époque, l’ordre des Cohens se présente
comme un système de hauts grades enté sur la
maçonnerie bleue. La première étape comprend trois
grades symboliques auxquels s’ajoute celui de maître parfait
élu; puis viennent les grades cohens proprement dits :
apprenti
cohen, compagnon cohen, maître cohen, grand architecte, chevalier
d’Orient, commandeur d’Orient; enfin le dernier grade,
consécration suprême, celui de réau-croix. En 1768,
Willermoz est ordonné réau-croix par Bacon de La
Chevalerie. Saint-Martin, initié aux premiers grades vers 1765,
devient commandeur d’Orient. Les années 1769 et 1770 voient les
groupes cohens se multiplier très largement en France. En 1772,
Saint-Martin est ordonné réau-croix.
Martines, parti la même année pour Saint-Domingue afin
de toucher un héritage, devait y mourir en 1774. Par la suite,
l’Ordre se désagrège. Dès 1776, les temples cohens
de La Rochelle, de Marseille, de Libourne rentrent dans le giron de la
Grande Loge de France. En 1777, le cérémonial n’est plus
en usage, semble-t-il, que dans quelques cénacles comme Paris,
Versailles, Eu. Enfin, en 1781, Sébastien Las Casas,
troisième et dernier grand souverain des élus cohens
(successeur de Caignet de Lester, décédé en 1778),
ordonne la clôture des huit temples qui reconnaissent encore son
autorité. Ni Caignet ni Las Casas n’ont joué un
rôle bien important. Malgré cette clôture
officielle, des élus cohens continuent à exercer la
théurgie, à procéder à des ordinations.
D’autre part, l’enseignement théosophique de Martines n’est pas
perdu pour autant; au sein de la maçonnerie, il se répand
encore longtemps après la mort de ce chef de file, grâce
au système maçonnique institué par Willermoz peu
après la mort de son maître.
Outre Willermoz et Saint-Martin, on connaît comme disciple de Martines l’abbé Pierre Fournié. C’est vers 1768 que ce dernier rencontre le maître qui va bouleverser de fond en comble sa destinée et auprès duquel il exercera plusieurs mois les fonctions de «secrétaire». Initié élu cohen, le clerc tonsuré Fournié réside surtout à Bordeaux, où il sert d’intermédiaire entre différents membres de l’Ordre.
En 1776, Saint-Martin le dépeint comme un élu cohen exceptionnellement favorisé en matière de manifestations surnaturelles; Fournié en décrira lui-même quelques-unes dans son ouvrage Ce que nous avons été, ce que nous sommes et ce que nous deviendrons (1802), en redoutant d’en dire trop. Au moment de la Révolution, Fournié émigre en Angleterre, où il restera jusqu’à sa mort; de là il correspond, de 1818 à 1821, avec le théosophe munichois Franz von Baader.