Louis-Claude de Saint-Martin Sceau OMT

Le nom de Louis-Claude de Saint-Martin est à rattacher dans la littérature au courant illuministe, réaction à l'esprit matérialiste des «philosophes» encyclopédistes du XVIIIème siècle. L'illuminisme propose une lecture des textes chrétiens à la lumière du néo-platonisme et des sciences occultes, mettant l'accent sur l'intériorité de la quête mystique, et rejetant l'emberlificotage scolastique. A peu près à la même époque que Saint-Martin, l'allemand D'Eckartshausen écrit un certain nombre d'ouvrages, parmi lesquels je vous recommande, ainsi qu'Eliphas Lévi au baron de Spedialieri, La nuée sur le sanctuaire. L'extatique suédois Emmanuel Swedenborg se rattache aussi à l'illuminisme : mais si son Traité curieux des charmes de l'amour conjugal dans ce monde et dans l'autre est abordable (mais sans grand intérêt selon moi), la lecture de la plupart de ses ouvrages est toutefois difficile.

La descendance de l'illuminisme sera nombreuse et féconde : le romantisme et le symbolisme y puiseront leur conception du monde comme universelle analogie. Balzac, entre beaucoup d'autres, fut profondémént influencé par la pensée illuministe : on s'en apercevra aisément en lisant Louis Lambert, La recherche de l'absolu, ou Le lys dans la vallée.

Le «philosophe inconnu»

Louis-Claude de Saint-Martin naquit à Amboise (Indre-et-Loire) le 18 janvier 1743, dans une famille de petite noblesse. Dès l'enfance, l'éducation que lui prodigue une belle-mère éclairée favorise chez lui l'épanouissement de nobles sentiments et d'une grande sensibilité d'âme. Après des études de droit, il devient avocat, conformément au désir de ses parents. Mais la profession ne lui plait guère, et grâce à l'appui d'un ami influent, il obtient en 1765 (à 22 ans) un brevet de sous-lieutenant au régiment de Foix alors stationné à Bordeaux. La carrière militaire devait à cette époque laisser beaucoup de loisirs, car L-C de Saint-Martin avait pour but en la choisissant de trouver davantage de temps pour ses études ésotériques ! Fabre d'Olivet aura plus tard la même idée.

Ci-contre, portraits de L-C de Saint-Martin donnés par M. Jacques Tabris.
Cliquez sur les images.
Note : M. Tabris m'a par ailleurs fait parvenir tous les autres portraits connus de Saint-Martin. Je ne les ai pas tous retenus, à cause de la faible valeur esthétique de certains, et pour ne pas trop augmenter le temps de chargement de cette page. Pour info, il n'y a que des portraits de profil, la face du philosophe demeure inconnue de la postérité! Je retranscris ci-dessous des extraits de son message explicatif.



Le portrait n°5 (ici à gauche) est une gravure publiée pour la première fois par Stanislas de Guaita, et réalisée au physionotrace, inventé en 1786 par le violoncelliste Gilles-Louis Chrétien (1745-1811). Ce portrait doit dater de 1795, alors que Saint-Martin était âgé de 52 ans.

Le portrait n°6 (ici à droite) a été publié en frontispice de l'ouvrage de Robert Amadou, Louis-Claude de Saint-Martin et le martinisme (Paris, Griffon d'Or, 1946). Ce portrait fut la propriété de Jean Bricaud et fut cédé par Madame Bricaud à la Bibliothèque Municipale de Lyon à la mort de son mari. Son authenticité est néanmoins douteuse compte tenu du peu de ressemblance avec les précédents.

Par l'entremise d'un de ses amis du cercle des officiers, le capitaine de Grainville, Saint-Martin fut admis dès 1765 dans l'Ordre des Chevaliers Maçons Elus-Cohen de l'Univers, fondé quelques années plus tôt par le théosophe thaumaturge Martines de Pasqually, dont la doctrine se présentait comme la clef de toute théosophie judéo-chrétienne, étant directement reliée aux enseignements secrets d'Egypte, de Grèce et d'Orient. L’enseignement et les rites cohens lui fournirent l’essentiel des thèmes philosophiques qu’il ne cessa de développer dans toutes ses œuvres. Il quitta l’armée en 1771 pour se consacrer à sa vocation et fut le secrétaire de Martines pendant plusieurs mois.

En 1773 et 1774, il demeura à Lyon chez Jean-Baptiste Willermoz (1730-1824). Cet autre disciple de Martines créa en 1778 le Rite Ecossais Rectifié (RER), pratiqué de nos jours par de nombreux maçons, et dans lequel il allait faire passer l’essentiel de la théosophie martinésiste. Au cours de ce séjour chez Willermoz, Saint-Martin rédigea son premier ouvrage, Des erreurs et de la vérité, ou les Hommes rappelés aux principes de la science. Quand parut ce livre, en 1775, l’auteur se trouvait à Paris et devint déjà le «Philosophe inconnu» qu’il allait rester pour la postérité. Le Tableau naturel des rapports qui unissent Dieu, l’Homme et l’univers (1782) reprend et prolonge les enseignements des Erreurs... Dès cette époque, Saint-Martin se détache des voies actives de la magie pour s’orienter dans une direction de plus en plus «intérieure» : le Réparateur a, selon lui, montré la voie d'un contact direct avec le divin, par la prière. Saint-Martin se défie même finalement de la franc-maçonnerie, malgré une appartenance de courte durée au rite rectifié de Willermoz. Son séjour à Strasbourg (1788-1791) peut être considéré comme un événement historique : il y rencontre en effet Mme de Böcklin qui lui révèle la philosophie de Jacob Boehme (1575-1624).

Dans la révolution Française, Saint-Martin voit un châtiment provisoire envoyé par la Providence, dû à la décadence des trônes et des autels, et n’hésite pas à monter la garde devant le Temple, devenu alors prison de la famille royale. D'après Louis Blanc, dans Histoire de la Révolution, c'est à Louis-Claude de Saint-Martin même que la France doit sa fameuse devise : Liberté-Egalité-Fraternité.

Après L’Homme de désir (1790), puis Le Nouvel Homme et Ecce homo (destiné à instruire la duchesse de Bourbon), parus en 1792, il écrit principalement sous l’influence de Boehme, dont il concilie l’enseignement avec celui de son «premier maître» Martines. En même temps débute sa correspondance théosophique avec le Bernois Niklaus Anton Kirchberger (1739-1799). Puis il écrit d’autres ouvrages, dont Le Ministère de l’homme-esprit (1802) est sans doute le plus élaboré et celui qui concilie le mieux les enseignements de Boehme avec ceux de Martines. En même temps, il rédige des traductions des livres de Boehme et les publie. Il rencontre Chateaubriand à la Vallée-aux-Loups, en janvier 1803, et s’éteint le 13 octobre à Aulnay , près de Sceaux (Seine), chez le sénateur Lenoir-Laroche.

La philosophie de Saint-Martin

L’œuvre entière de Saint-Martin montre sa fidélité aux enseignements de Martines : il n’a jamais nié la valeur ni l’efficacité de la théurgie cohen, mais a estimé n’avoir plus besoin de celle-ci une fois qu’il crut en avoir tiré assez d’avantages spirituels. Si la philosophie saint-martinienne se rattache étroitement aux systèmes de Boehme et de Pasqually, elle ne doit pratiquement rien à Swedenborg ni à Mme Guyon. Pour Saint-Martin comme pour ses maîtres, Dieu, avant le temps, produisit par émanation des êtres spirituels. Une partie de ces anges tomba dans le péché d’insubordination. Alors Dieu créa un univers pour circonscrire le mal ainsi introduit et pour servir de prison aux anges déchus. En même temps, il émana l’Homme primordial, l'Adam Qadmon, androgyne au corps glorieux, vice-roi de l’univers, pour servir de geôlier à ces démons, les amener à résipiscence :

Dieu dit : Faisons l'Homme à notre image, comme notre ressemblance, et qu'il domine sur les poissons de la mer, les oiseaux du ciel, les bestiaux, toutes les bêtes sauvages et toutes les bestioles qui rampent sur la terre.

Dieu créa l'Homme à son image, à l'image de Dieu il le créa, mâle et femelle il le créa. (Gen I, 26-27)

Mais l’Homme, induit en tentation par eux, fut précipité à son tour dans cet univers en dehors duquel il aurait dû demeurer. En pénétrant à l’intérieur, il en rompit l’harmonie, devint homme et femme séparément, mortel, sujet à la peine, aux maladies :

Mais du fruit de l'arbre qui est au milieu du jardin, Dieu a dit : Vous n'en mangerez pas, vous n'y toucherez pas, sous peine de mort. (Gen III, 3)

Mais Dieu sait que, le jour où vous en mangerez, vos yeux s'ouvriront et vous serez comme des dieux, qui connaissent le bien et le mal. (Gen III, 5)

Il est donc un ange déchu qui non seulement se souvient des cieux, mais doit retrouver sa grandeur passée et son pouvoir de commander à tous les esprits, bons ou mauvais. Les anges demeurés dans l’obéissance peuvent aider l’Homme si celui-ci se met en hamonie avec eux . La prière, même dépourvue de cérémonies, est la méthode la plus efficace : Saint-Martin déconseille vivement les pratiques théurgiques. Eliphas Lévi raconte à ce propos qu'un disciple de Martines, s'étant livré à des opérations alors qu'il avait contracté une souillure, y aurait certainement laissé la vie sans l'intervention du maître. Pour Saint-Martin, il y a un ange attaché à la vie de chaque homme, qui a délibérément choisi l'exil pour aider à sa réintégration. Cet ange souffre lorsque nous nous éloignons de Dieu, car nous l'en éloignons en même temps : il ne perçoit la lumière divine qu'à travers notre cœur.

Saint-Martin décrit longuement les conséquences de la chute, dont il tire l’essentiel de sa cosmologie, et indique les voies par lesquelles l’Homme pourrait se régénérer lui-même en entraînant la nature dans une gigantesque Réintégration. Jamais il ne craint de trop exalter le rôle de l’Homme dans l’économie divine. Saint-Martin souligne les liens profonds de celui-là avec le Créateur, insiste sur ce qu’il y a de meilleur en lui : l’admiration, l’amour, la solidité des rapports humains, la valeur inestimable du grain de sénevé qui demeure enfoui dans le cœur de chacun mais qui peut nous porter jusqu’aux cieux, transfigurer la nature même, rendre à l’Homme sa splendeur passée. Car c’est toujours de l’Homme que part le Philosophe inconnu, pour qui il faut expliquer les choses par l’Homme, et non pas l’Homme par les choses. Toute étude sérieuse sur la «Philosophie de la Nature» à cette époque – au sens romantique du terme – devrait commencer par un examen attentif de son œuvre, particulièrement de L’Esprit des choses (1800).

Si Saint-Martin a tendance à se détacher du monde, il échappe toujours à la mystique pure, dans la mesure où il reste un insatiable observateur de la nature; il intègre chaque notation concrète dans un système théosophique à la fois cosmogonique, cosmologique et eschatologique où chaque donnée est toujours saisie dans un ensemble des ensembles, secret de la démarche analogique ou de la doctrine des correspondances.

L'Ordre Martiniste

Le martinisme n'est pas le prolongement exact de l'Ordre des Chevaliers Maçons Elus-Cohen de l'Univers. En 1772, avant d'avoir terminé l'organisation de son ordre, Martines de Pasqually partit pour Saint-Domingue, dont il ne revint jamais. Deux de ses disciples continuèrent à diffuser son enseignement, avec des sensibilités différentes : Saint-Martin et Willermoz.

Mais ni Saint-Martin, ni Willermoz n'ont fondé de société portant le nom d'Ordre Martiniste. On sait seulement que se constitua autour du premier un groupe auquel certaines lettres d'amis font allusion sous le nom de "Cercle des Intimes". L'initiation transmise par L-C de Saint-Martin se perpétua jusqu'à la fin du XIXème siècle par deux filiations différentes, mais qui semblent toutes deux authentiques : à cette époque deux hommes en sont dépositaires : le Dr Gérard Encausse, alias Papus, et Augustin Chaboseau. Pour davantage de détails, on pourra se reporter à la revue Rose-Croix n° 163 d'automne 1992. La providence faisant bien les choses, Papus et Chaboseau, tous deux étudiants en médecine, se rencontrent grâce à un ami commun : P. Gaëtan Leymarie, dont la librairie existe toujours quartier Notre-Dame.

Ils ont marqué, avec d'autres, l'Histoire du martinisme...

P-A Chaboseau
V-E Michelet
R-M Lewis
Pierre-Augustin Chaboseau

Co-fondateur de l'ordre avec Papus.
Victor-Emile Michelet

Grand Maître de l' O.M.T. de 1932 à 1938.
Ralph Maxwell Lewis

Impérator de l' A.M.O.R.C. de 1939 à 1987, chargé par le Suprême Conseil d'installer l' O.M.T. aux Etats-Unis.

Ils se transmettent ce qu'ils ont reçu et décident en 1891 de créer un ordre initiatique qu'ils appellent Ordre Martiniste.Sa revue, créée par Papus, est L’Initiation. L'ordre se dote d'un Suprême Conseil, composé de 12 membres, qui élit Papus à la charge de Grand Maître. L'O.M. connaît dès lors une extension rapide : Paris compte bientôt quatre loges, et l'ordre s'implante aussi à l'étranger. Le numéro d'avril 1898 de L'Initation signale qu'en 1897, il existait 40 loges dans le monde, et qu'en 1898 leur nombre atteignait 113. (Ah! le bon vieux temps...)

Avec la guerre de 1914-1918, l'ordre tombe en sommeil. Plusieurs groupes martinistes indépendants naquirent à cette époque, pour connaître un destin souvent éphémère. Il subsiste cependant de nos jours d'autres obédiences martinistes. En 1931, sur le conseil de son fils, A. Chaboseau réunit les survivants du Suprême Conseil pour reprendre la situation en main. Ceux-ci l'élirent à la charge de Grand Maître, qu'il laissa à Victor-Emile Michelet dès 1932. Le qualificatif «Traditionnel» est ajouté à cette époque au nom de l'ordre, pour signifier que l'ordre s'appuie sur les fondements véritables du martinisme, et en réaction au foisonnement des groupes indépendants.

Lorsqu'arrive la guerre de 1939-1945, l'ordre est à nouveau menacé. En 1939, Ralph Maxwell Lewis, Imperator de l'Ancien et Mystique Ordre de la Rose-Croix est chargé par le Suprême Conseil d'installer l'Ordre Martiniste Traditionnel aux Etats-Unis. Quand plus tard l'A.M.O.R.C. se réorganise dans l'Europe d'après-guerre, il est décidé que l'O.M.T. exercera ses activités en son sein. Depuis cette époque, l'Imperator de l'A.M.O.R.C. est aussi Souverain Grand Maître de l'O.M.T., et pareillement le Grand Maître de la juridiction française de l'A.M.O.R.C. assume en même temps la fonction de Grand Maître de l'O.M.T. Actuellement, l'Imperator de l'A.M.O.R.C. est un français : F. Christian Bernard; et le Grand Maître de la juridiction française est F. Serge Toussaint.

Revue Pantacle
L'O.M.T. publie annuellement la revue Pantacle.

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