Cher M,

Merci d’avoir mis en ligne le Sanctum Regnum. Même si le texte est en général une redite du Dogme et Rituel, il recèle quelques perles. Dans ta description de la figure de l’Azoth (qui soit dit en passant annule et rend caduc les commentaires que j’ai précédemment envoyés), tu relates les notions traditionnelles selon lesquelles X est un tau primitif. Certes, ce n’est pas faux, mais c’est une affirmation assez imprécise, non ? J’ai réuni quelques infos qui, je le souhaite, te plairont. Je n’ai pas alourdi mon texte d’une biblio puisque n’importe quel livre sur le sujet apportera les éléments nécessaires.

Bien fraternellement,

Arsène Saint-Agnile / reçu le dimanche 23 juillet 2000.


Compléments d’information sur l’histoire des alphabets en général,
et du t (Tau) en particulier

L’intérêt pour l’étude des alphabets a débuté à la Renaissance avec les Humanistes, désireux non seulement de mieux comprendre l’origine de leur propre alphabet et d’en trouver les filiations avec les alphabets utilisés par les auteurs anciens (essentiellement grecs bien-sûr, samaritain, phénicien ou hébreu) mais aussi de créer un alphabet universel dont la forme des lettres illustrerait d’elle-même le sens, abolissant ainsi toutes les barrières linguistiques entre les peuples. J’ajoute en passant que cette volonté de traduire toute la science humaine en un système philosophique unique et cohérent ( voyez les travaux de George Dalgarno et John Wilkins dans les années 1660) a opéré une brèche dans les systèmes de la scolastique aristotélicienne, brèche dans laquelle les courants hermétiques, néo-platoniciens et kabbalistiques se sont engouffrés, profitant du même coup de la diffusion de l’imprimerie.

Bref, cet engouement pour l’histoire du développement de l’alphabet a produit et produit encore de nombreuses théories sur l’origine des alphabets : imitation d’objets usuels (bœuf, charrue, maison …) pour les uns, constellations pour les autres, un mélange de tout ça pour les mitigés, etc. Avec les connaissances actuelles, on peut schématiser la filiation des alphabets avec la figure 1.

J’attire votre attention sur l’éloignement de l’hébreu ancien et de l’hébreu moderne et sur le fait que les alphabets, contrairement aux langues, ne suivent pas les groupes ethniques : si on parle de langues indo-européennes ou sémitiques, les alphabets, eux sont trans-ethniques.

Ensuite vient le problème du " X " qui serait un t primitif. Dans l’énorme masse des théories plus ou moins farfelues apparues depuis la Renaissance, il y a finalement peu de données concluantes sur cette lettre. Un exemple qui nous parle : Cornélius Agrippa dans De occulta Philosophia, 1529 donne une plâtrée d’interprétations de l’alphabet hébreu, mais pas un t en forme de croix. Finalement, rares seront les occultistes à creuser cette question. En général, le mieux que l’on peut espérer, c’est la vraie mais trop superficielle affirmation que le " X est un t primitif ". Il faut attendre le XIXème siècle avec des Daniel Smith (Cuneorum Clavis, 1875), E. Maunde Thompson (1893) pour avoir des données sérieuses. Le problème, ce sont encore une fois les divergences : Smith donne un t en forme de croix en hébreu ancien alors que Thompson ne donne aucun équivalent de cette lettre. Les auteurs du XXème seront plus précautionneux dans leurs affirmations. En synthétisant les théories récentes, je pense que l’on peut retenir que t s’est écrit avec une croix dans les alphabets Hiératique (1500 av.JC), Sinaique (345), Cadméen, Etrusque, Samaritain, et surtout Phénicien. (Suivant les auteurs, on peut en ajouter ou en retrancher, mais j’ai noté ceux qui faisaient généralement l’objet d’un consensus ). Quoiqu’il en soit, la filiation la plus logique entre la croix et le Tav (ou Thau) serait : Phénicien, Araméen, Araméen Impérial, Juif, Hébreu Moderne (voir figure 1). On peut penser que le Cananéen en est l’origine, mais je n’ai pas de document le confirmant.

En conclusion, si on parle de Thau primitif, il faut remonter jusqu'à la civilisation phénicienne (1000 ans av. JC) pour qu’il ait une forme de croix. Il faudra donc être très vigilant à ne pas tomber dans l’anachronisme facile. Si aujourd’hui on peut à loisir élaborer des correspondances symboliques entre croix et Thau, il faut se garder du dérapage temporel qui consiste à voir dans les croix dessinées pendant la Renaissance et avant, une allusion délibérée au Thau et inversement.

Figure 1: Filiation schématique des alphabets in The Alphabetic Labyrinth, J. Drucker, Thames and Hudson 1995.



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